[Halle Centrale des Cordeliers]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0707 CRDP R02584
technique 1 photographie positive : diapositive couleur ; 24 x 36 mm
historique Marché couvert des Cordeliers. Tony Desjardins, architecte ; 1858-1859. Démoli en 1971.
historique On l'appelle trivialement "le ventre de Lyon". Un marché pas comme les autres où éminentes Toques Blanches, simples épicuriens et touristes en goguette viennent s'approvisionner de bon matin ou à l'heure de l'apéro, en fonction de leurs emploi du temps. Un garde-manger pantagruélique tenu par une soixantaine d'irréductibles défenseurs du bon goût et du terroir rhônalpin, garants d'une certaine tradition culinaire à la française. Dans la capitale mondiale de la gastronomie, l'histoire des Halles de Lyon se perd dans la nuit des temps. Ou presque... Il faut en effet remonter à la deuxième moitié du XIXe siècle pour toucher aux origines de ce temple de chair et d'acier. Entre nostalgie d'une époque révolue et promesse de lendemains enchanteurs, les grandes étapes de son histoire témoignent à la fois de l'attachement viscéral des Lyonnais pour leur institution gastronomique, mais aussi de la passion qui anima ses (r)évolutions successives. Rétrospectivement, la constitution d'un tel sanctuaire gourmand dans une cité qui aime tant à célébrer l'assiette, était inéluctable. "Pour ce qui est de la table, il y a dans cette ville tous les raffinements et délicatesses que l'on peut désirer", clame déjà un anonyme voyageur italien du XVIe siècle. "Un héritage ancestral, savamment entretenu par des lignées de talentueux cuisiniers, auxquels rend également hommage la plume aiguisée du Grenoblois Stendhal : "je ne connais qu'une chose que l'on fasse très bien à Lyon. On y mange admirablement, et selon moi mieux qu'à Paris !". Pour alimenter cette vocation, les étals en plein air prolifèrent aux quatre coins de la cité médiévale. Sous le Second Empire, on recense une vingtaine de ces petits marchés, chacun avec ses spécificités, de la boucherie au fromage, en passant par les légumes ou la volaille... Anarchiques, malodorants, d'une saleté repoussante... En 1847, le "Guide de l'Étranger de Lyon" témoigne de "la nécessité de réunir à couvert les nombreux étalages pour purger la voie publique souillée". Le sénateur et préfet de Lyon Claude-Marius Vaïsse, le "Hausmann" lyonnais, confie à l'architecte en chef de la ville Tony Desjardins et à la compagnie de la Rue Impériale le soin de bâtir un immense marché couvert sur la Presqu'île, entre la rue Buisson (aujourd'hui Antoine-Salles) et la rue Claudia. Les travaux débutent au printemps 1858, sur la place des Cordeliers signature incongrue de l'époque, les piliers d'une monumentale armature métallique s'élèvent bientôt près du Palais de la Bourse, du Grand Bazar et de l'église Saint-Bonaventure. Rebaptisé "Palais de Cristal" par les habitants du quartier, inspiré par la majestueuse verrière qui le recouvre, le bâtiment est inauguré en grande pompe le 1er mars 1859. Initialement découpés en 308 cases de 2x2 mètres, ses 3532 m2 de surface où se côtoient poissonniers, bouchers, primeurs et fromagers accueillent aussi un large espace dédié à la criée, au gibier, aux fruits et aux légumes. Très vite, les commerçants obtiennent l'autorisation de laisser leur matériel sur place les Halles des Cordeliers sont nées et laissent au folklore le soin de dessiner peu à peu les contours du "temple de la mangeaille lyonnaise". L'endroit devient lieu de rencontre, où l'on déguste autant que l'on achète. Carrefour commerçant et épicurien, le petit village cuisine son âme au fond de ses estaminets, dont certains, restaurants ou magasins de bouche, deviennent un siècle durant les places fortes d'un univers grouillant de vie, d'odeur et de bruit. La plume d'Emmanuel Vingtrinier, dans "La Vie lyonnaise, autrefois, aujourd'hui", ressuscite "le hourivari confus d'appels, d'interjections, de cris, de sabotements, de sons de cloche" qui enveloppaient les Halles. C'est là, chez Brunet, Monestier, Cros ou Coulpier, au café-comptoir des Gourmets ou à la maison Rousseau que l'ouvrier vient dévorer son mâchon matinal, le fêtard fatigué consommer sa gratinée, le paroissien de Saint-Bonaventure clore la messe dominicale d'une solide dégustation d'huîtres... Le romancier Max-André Dazergue décrit en 1935 toute la difficulté du visiteur des Halles à "se résoudre à se retirer, tant il est subjugué, intéressé, attiré par le pittoresque spectacle qui l'entoure et l'appétissante vue de toutes les victuailles amassées en ce lieu". Le "ventre de Lyon" reçoit aussi les visites régulières de la société gastronomique privée des "Amis des Halles", qui refait le monde en arrosant de Beaujolais tabliers de sapeur et autres cochonnailles. Ses membres, en dignes représentants d'une démesure gargantuesque, prétendaient qu'un repas n'est réussi que lorsqu'il commence la veille et dure jusqu'au lendemain... Le fils de l'écailler Victor Monestier, René, a grandi entre les étals. Terreur des allées avec sa voiture à pédale, le Fangio local se remémore les truculentes "courses de chèvres, puis de cochons et d'oies autour des Halles. Un vrai tiercé, avec des lots à gagner !". En provenance de son Limousin natal, Colette Sibilia, qui a découvert l'atmosphère des Halles en 1952, à l'âge de 18 ans, se souvient aussi de ces animations homériques. "A l'époque, on s'amusait beaucoup. J'ai encore en mémoire une course d'ânes à laquelle avait participé Petula Clark, l'une des grandes stars de l'époque, avant son gala au Palais d'Hiver". C'est peut-être encore le journaliste Jean-François Mesplède, ancien directeur du guide Michelin, qui dépeint les lieux avec la simplicité la plus juste : "Les Halles, c'est la vie"... C'est donc tout un monde qui s'effondre lorsque le maire, Louis Pradel, alias "Zizi Béton", sonne le glas des Halles des Cordeliers. Le site doit céder la place au projet de réaménagement du quartier qui, jugé trop coûteux et surnommé le "Panama Lyonnais", fait furieusement jaser. Le 21 janvier 1971, l'émoi suscité par la démolition fulgurante du bâtiment, au profit... d'un parc de stationnement, finit d'ajouter à la dimension dramatique de cette disparition. "La bonne odeur de poisson frais, de céleri rave, d'endive amère et de poudre de riz a cédé devant la poussée des engins", dénonce le journaliste Pierre Mérindol dans le quotidien "Le Progrès" du lendemain. La meurtrissure est telle que plusieurs commerçants refusent le déménagement, dont la légitimité semble pourtant bien réelle. Vétuste, insalubre, difficile d'accès, infesté de rats, le bâtiment à la verrière percée de trous ne répondait plus aux normes de sécurité. Le confort, surtout, laissait terriblement à désirer. [...] Bref, en cet hiver 1971, la "Maison des courants d'air" a fait son temps... Source : "Grande et petites histoires des halles de Lyon" / Philippe Frieh et Pascal Auclair in Guide Toques Blanches, 2019.

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